Extraits de :
G. Valléry, M.-E. Bobillier Chaumon, E. Brangier et M. Dubois (dir.) : « Psychologie du travail et des organisations : 110 notions clés », Paris, Dunod, 2016.
Introduction à la Psychologie du travail et des organisations
Aperçu sur les fondements et les domaines d’interventions
1 Un ancrage scientifique et industriel
La psychologie du travail fait partie intégrante de la Psychologie. Pour le psychologue, le travail est une conduite qui se structure et se développe dans un contexte social, organisationnel et économique défini. Déjà en 1955 Ombredane et Faverge définissaient le travail comme un « comportement acquis par apprentissage et tenu de s’adapter aux exigences d’une tâche » (cité dans Leplat & Cuny, 1977). L’évolution de la psychologie du travail suit les transformations du travail et de l’organisation au fil du temps, marquée par une diversité d’approches (individuel vs collectif) et un éclatement du champ selon les courants théoriques mobilisés, les objectifs visés ou les méthodologies déployées (Guillevic, 1991). Ainsi, la psychologie du travail, notamment par ses multiples appellations (psychologie appliquée, psychologie industrielle, psychotechnique, technopsychologie…), est apparue comme peu unifiée autour de l’étude de l’homme au travail et des conceptions du travail qui en découlent ; ce qui montre la pluralité vivante et dynamique de la discipline, mais aussi sa fragilité scientifique et identitaire. Des études sur le travail émergent vers la fin du XIXe siècle au sein du premier laboratoire de psychologie expérimentale à Leipzig en 1879 (W.M. Wundt) autour de travaux sur la monotonie et la fatigue au travail qui donneront naissance à la psychologie du travail en tant que discipline. Elle se structurera progressivement en psychologie du travail et des organisations (PTO) montrant, par cette appellation, un élargissement du domaine (Bernaud & Lemoine, 2007). De sa longue et riche histoire, on peut résumer son développement par quatre grandes périodes qui témoignent à la fois d’ancrages théoriques et épistémologiques fondateurs (en psychologie expérimentale, différentielle et sociale) et d’une ouverture sur des problématiques socioprofessionnelles comme des méthodologies d’intervention plurielles (Brangier, Lancry & Louche, 2004 ; Louche, 2015).
1.1 La psychotechnique
La psychologie du travail trouve principalement son origine en 1913 avec la publication de l’ouvrage Psychology and industrial efficency que Munsterberg (élève de Wundt) publia aux États-Unis. Ce livre qui fait passer la psychologie de laboratoire au monde industriel posa les bases de la psychotechnique ; domaine d’intervention particulier longtemps associé, voire assimilé, à la psychologie du travail. On y décrit les principes psychologiques d’une « bonne gestion » de l’homme au travail, ou comment des approches de la psychologie peuvent être mobilisées et appliquées à l’ensemble des composantes d’une organisation industrielle afin d’améliorer son fonctionnement, sur le plan du rendement au travail, de la motivation et du recrutement des salariés, des décisions professionnelles. Munsterberg fut aussi l’un des premiers à introduire le concept de validité, permettant de vérifier la fiabilité d’un test psychologique. Il prôna également l’analyse des postes de travail (de dactylos, de conducteurs de trolleybus…) afin de mieux déceler les qualifications et comportements attendus des opérateurs et de paramétrer en conséquence des tests d’aptitude. Comme Mayo, Munsterberg formula aussi de vives critiques sur le taylorisme en pointant l’insuffisante prise en compte des caractéristiques psychologiques du travailleur qui conduisait selon lui à une insatisfaction au travail, à la dépression et au découragement. Dans les faits cependant, le champ d’intervention de la psychotechnique se réduisit rapidement à l’utilisation des tests pour la sélection et l’orientation professionnelle ; ce qui engagea la psychologie du travail à se spécialiser surtout dans l’adaptation de l’homme au travail. Plus tard, le terme de psychotechnique se verra progressivement remplacé par celui de Psychologie appliquée, puis par celui de Psychologie industrielle, en référence aux travaux de Myers (1925) sur les effets du travail répétitif dans les industries textiles et sur le rôle du « moral » sur la performance et la fatigue.
1.2 Une psychologie des fonctions humaines au travail
La tradition française de la psychologie du travail s’inscrit à ses débuts, et en particulier avec des chercheurs comme Lahy, Pacaud et Laugier dans la double tradition de la physiologie du travail et de la psychologie expérimentale et va très vite chercher à appréhender la réalité des contextes professionnels. L’orientation de recherche porte sur le rôle central de l’analyse du travail dans l’évaluation des difficultés du métier, l’analyse des accidents dans une perspective psychotechnique associée à la sélection et à l’orientation professionnelle en rejetant toutefois toutes formes de prédispositions innées (Clot, 1996 ; Ouvier-Bonnaz & Weill-Fassina, 2013). En particulier, Pacaud développa des approches par l’observation et l’étude in situ du travail qui préfigurent les analyses du travail que l’ergonomie francophone développera ; s’inscrivant déjà à cette époque dans une perspective d’interdisciplinarité d’étude du travail. Ces orientations articulant analyse des situations du travail et évaluation des individus ont été largement soutenues par les besoins pressants des conflits mondiaux, leur donnant une impulsion importante en matière de conception d’outils et de mesures (évaluation des aptitudes, conception et adaptation des moyens et des postes…). Après la Seconde Guerre mondiale, cette forme d’analyse psychotechnique du travail s’est rapprochée de la psychologie différentielle pour proposer une sorte de psychologie du personnelle préoccupée par la compréhension et l’évaluation des individus au travail. En outre, ces travaux, comme le rappellent Cuvillier (2014), bénéficient du soutien bienveillant de certaines personnalités de la classe politique de l’époque, qui voient ici l’occasion d’instaurer un débat sur les conditions de la fatigue ouvrière, dans un but de réglementation de la durée du travail. Ces travaux posent aussi les bases d’une psychologie de l’intervention « au-dans-pour » le travail qui vient à fournir, grâce aux analyses scientifiques effectuées, des préconisations et des recommandations qui soient favorables aux intérêts de l’organisation et au bien-être des salariés : « Patrons et ouvriers ont un égal intérêt à organiser scientifiquement le travail industriel. Dans l’usine nouvelle, seul le concours d’un homme de laboratoire, dégagé des intérêts des parties, sera susceptible d’établir quelques règles du travail adaptées aux possibilités physiques du travailleur » (Lahy, 1916). La place du psychologue du travail dans les entreprises commence ainsi à se préciser : celle d’un acteur engagé dans les transformations réelles et concrètes du travail et soucieux de l’activité et de la santé des salariés. Cette attention portée à l’activité en contexte va surtout se retrouver dans les travaux développés par l’ergonomie francophone dont le projet général est d’adapter le travail à l’homme. Une orientation de la psychologie du travail (la clinique du travail) va d’ailleurs se rapprocher de l’ergonomie, notamment dans son rapport avec le réel du travail, pour faire du développement de l’activité un objet d’étude et d’intervention à part entière. Il ne s’agit alors plus, comme le suggérait Bonnardel en 1943, d’adapter le travailleur à son métier, mais bien d’accompagner l’adaptation de l’activité à l’individu.
1.3 Une psychologie de l’activité au travail
L’analyse des activités au travail a profondément marqué la compréhension et la transformation des situations professionnelles. Elle influença le développement de la PTO. Initialement, le courant Human Engineering prédomine, visant une meilleure adaptation de la machine à l’homme il fonde son corps de recherche sur des données issues de situations expérimentales, et se développe considérablement durant la Seconde Guerre mondiale où il faut concevoir rapidement des dispositifs militaires compatibles avec les capacités humaines et les contextes d’usage. Il restera dominant dans le monde de l’ergonomie jusqu’à nos jours (fortement présent dans les pays anglo-saxons, Europe du Nord, Asie, notamment) en se distinguant du courant de l’ergonomie francophone, dite centrée sur l’Activité, qui étudie le travail en situation réelle et en cherchant à agir sur celui-ci (en mode interventionniste). Ainsi, cette ergonomie se fixe plusieurs principes comme : améliorer les conditions de travail, prévenir les accidents, favoriser le bien-être et la santé des individus, et par là même soutenir l’efficacité et la performance des organisations. Pour y parvenir, elle va s’appuyer sur des méthodes et des modèles qui lui apportent une compréhension globale des systèmes de travail (Falzon, 2004). Elle montre que le travail ne peut être totalement assimilé à la tâche prescrite. L’opérateur en fait toujours plus ou moins ; surtout il fait autrement pour répondre aux divers objectifs et contraintes qui surgissent dans l’activité qu’il déploie. Le sujet redéfinit la tâche qui lui est assignée tout autant que l’activité transforme ses caractéristiques. Comme l’évoque Cuvillier (2014), l’activité de travail n’est donc pas seulement organisée ; elle est aussi organisatrice. Ces différentes analyses vont irriguer la psychologie du travail qui va davantage s’ouvrir vers une psychologie de l’activité ; en prenant notamment appui sur les modèles théoriques de l’activité (Vygotski et Léontiev principalement). Pour les tenants de cette psychologie du travail réel, il ne s’agit en effet plus seulement de s’intéresser à l’homme au travail (à ses fonctions humaines et à la détection des compétences ou des aptitudes requises pour un poste particulier), mais de considérer le travail en lui-même ; c’est-à-dire par/pour ce qu’il permet, oblige, motive ou empêche de faire : ce qui est à faire (la tâche) vs ce qui se fait (le travail réel) vs ce qu’on ne peut pas ou plus faire (le réel du travail). L’attention est alors portée sur les conditions de réalisation de ce travail, à ses effets sur le salarié et aux modalités de développement de l’activité. Dans cette perspective, l’analyse fine des situations de travail devient le moyen d’une transformation favorable et durable de l’activité, vecteur de santé au travail. Ce sont les logiques d’implication du sujet dans l’activité qui deviennent une caractéristique typique et fondamentale du développement humain, de son pouvoir d’agir (Clot & Simonet, 2015). Le courant de la clinique de l’activité en psychologie du travail s’inscrit dans ce sillon épistémologique. Elle partage avec l’ergonomie, le point de vue selon lequel l’intervention doit nécessairement s’ancrer dans la complexité des situations de travail, avec la collaboration des différents professionnels impliqués.
Cette approche située de l’activité au travail montre que la seule vision d’une psychologie du travail à versant psychotechnique cherchant à trouver la place de chacun, sa juste place, est insuffisante, voire obsolète. En plus de la prise en compte de l’activité, d’autres dimensions du travail, notamment organisationnelles et sociales, se font jour et vont se révéler tout aussi incontournables pour l’examen des processus et des dynamiques professionnelles. La psychologie du travail s’oriente alors vers une psychologie des organisations du travail.
1.4 Une psychologie des organisations du travail
Les travaux de Mayo menés durant les années 1920 à l’usine Hawthorne aux USA (qui aboutiront à « l’école des Relations Humaines ») vont donner naissance à la psychologie des organisations, une orientation fondamentale de la discipline. Celle-ci porte sur les dimensions sociales, groupales et organisationnelles qui déterminent des conduites professionnelles dans les systèmes de travail. Ces travaux ont principalement montré l’importance des relations interpersonnelles, des communications au travail et l’influence des groupes sur les processus d’organisation et de production (formels et informels). Ils ont largement initié les recherches sur le leadership, la motivation ou encore la satisfaction des salariés et montrent aussi l’engagement des salariés dans la réalisation du travail et le rôle joué par la reconnaissance au travail, notamment (Petit & Dubois, 2013). Ainsi, l’intérêt de la psychologie du travail envers l’organisation s’est grandement accru, en fournissant de nouvelles voies d’analyse sur diverses variables (de types relationnel, managérial, structurel, technologique ou encore culturel) qui influencent les conduites humaines au travail.
En définitive, ce bref rappel historique souligne des jalons importants dans l’évolution de la discipline. La PTO s’est d’abord instituée dans un cadre expérimental et évaluatif qui s’est très vite enrichi d’approches plus globales et systémiques des situations de travail afin de se donner une capacité d’intervention dans et sur les organisations productives. Ce faisant, la PTO s’est construit une place originale en psychologie en étant à la fois stimulée par des demandes socio-économiques liées au bien-être des personnes et à la performance des organisations, tout en étant également initiatrice de concepts et de cadres théoriques pour comprendre et intervenir sur les personnes au travail.
2 Objets d’étude et d’intervention de la PTO
La PTO s’intéresse à l’ensemble des déterminants du travail et au rôle que tient celui-ci dans la vie et le développement des salariés. Elle cherche ainsi à mieux comprendre, formaliser et améliorer les rapports existants entre notamment (Sarnin, 2007 ; Bobillier Chaumon & Sarnin, 2012 ; Lemoine, 2012 ; Bernaud & Lemoine, 2012) :
- les conditions du travail : les exigences, les ressources et moyens mis à disposition, les modalités et conditions d’exercice de l’activité ;
- les contextes socio-organisationnels dans lesquels s’inscrit le travail : que cela soit par rapport aux collectifs de travail, aux modèles et structures déployés ;
- les conduites humaines qui peuvent ou non s’y développer : en matière de compétences et d’aptitudes, de parcours professionnels, de dynamique motivationnelle, de processus sociocognitifs, d’activités déployées ou empêchées, de sens et de subjectivité au travail ;
- et enfin, des possibles incidences sur la santé (bien-être, qualité de vie…) et la trajectoire professionnelle des individus (sélection, orientation et formation).
Ses interventions s’orientent vers trois principaux objets d’étude, selon le modèle de référence publié par l’ENOP (Réseau Européen de PTO en 1998) :
- Une relation entre l’homme et son activité : cela porte sur l’examen de la nature des tâches demandées, l’analyse des conditions de réalisation de l’activité, la qualité des environnements (matériel, technologique et spatial) de travail, le niveau des charges physiques, cognitives et psychiques/émotionnelles ; le stress, le bien-être et les risques psychosociaux, la qualité de vie au travail, l’organisation du travail, les temps de travail, l’articulation vie au travail/hors travail…
- Une relation entre l’homme et l’organisation : cela concerne la sélection et l’intégration de tous les salariés, y compris en situation de fragilité (processus de recrutement, d’insertion et d’accompagnement professionnels, de socialisation organisationnelle, problématique du genre au travail…), le développement des individus au travail (motivation et satisfaction, habilitation, autonomie, longévité professionnelle…) ainsi que les questions de mobilité et de trajectoire professionnelle (employabilité, bilan de compétences, gestion de carrière…)
- Les relations interpersonnelles en lien avec la structure et les dispositifs sociotechniques : cela relève de l’analyse des communications au travail, des prises de décision et du processus d’innovation dans les organisations, la nature des relations hiérarchiques et collectives au travail, les cultures et organisations du travail, l’intervention et l’accompagnement des changements…
3 LA PTO : entre Connaissance et Action
3.1 De nouvelles problématiques de travail
Le monde professionnel contemporain est traversé par toute une série d’évolutions et de reconfigurations (technologiques, organisationnelles, culturelles, socio-économiques…) qui déstabilisent les repères traditionnels du travail et fragilisent les salariés et les activités. Ces problématiques émergentes conduisent la PTO nécessairement à une évolution de ses démarches d’intervention ainsi que ses objets d’étude.
Parmi les diverses mutations qui s’exercent sur le travail, on peut ainsi citer les organisations du travail en réseau multilocalisé et distant, le travail dématérialisé et médiatisé par les technologies, l’activité nomade ou en équipe virtuelle, les organisations matricielles, les nouvelles formes d’emploi et d’activité (coworking, autoentrepreneur, home-office…)… Ces changements font que l’activité se déporte de plus en plus de l’individu vers l’environnement, qu’elle est distribuée dans un monde ubiquitaire éclaté (celui des objets), qu’elle se fractionne entre professionnels qui travaillent de plus en plus « seuls-ensemble », souvent aussi hors des murs et du temps de l’entreprise. Ce processus de déplacement, voire de conversion des pratiques professionnelles constitue probablement pour la PTO une rupture, ou tout au moins une remise en cause dans ses façons d’analyser les activités humaines au travail, pour ne pas dire d’appréhender le travail lui-même.
De même que les questions de santé, de bien-être ou plus largement de qualité de vie travail se posent avec d’autant plus d’acuité que ces nouvelles formes d’organisation du travail (lean-management, modèle de l’excellence, centres de profits, Benchmarking entre salariés, systèmes de reporting et d’indicateurs…) ébranlent les dynamiques sociales et collectives à l’œuvre et positionnent les salariés en concurrents potentiels, avec à terme des risques d’exposition à l’isolement. Enfin, parce que dans ces environnements à la fois instables et innovants, les emplois évoluent rapidement et fréquemment, les compétences et les métiers doivent s’ajuster en permanence. Il faut donc être en capacité de non seulement accompagner les transitions à l’œuvre, mais aussi d’anticiper et de prospecter ces futures reconfigurations pour à la fois préparer les conditions du changement et surtout intervenir et/ou infléchir si nécessaire sur les projets de transformation.
Ces nouvelles problématiques de travail interpellent dès lors la PTO autour d’enjeux à la fois scientifiques, pragmatiques et épistémologiques. Ainsi, comment rendre compte d’une activité qui se révèle de plus en plus insaisissable — car dématérialisée — complexe et éclatée (entre des personnes, des outils, des espaces et des temporalités) ? Comment prendre en compte différentes dynamiques (psychiques, subjectives/intersubjectives, cognitives, sociales…) mobilisées au sein de ces activités ? Comment aborder et accompagner le développement d’un métier et de ses pratiques en mutations ? Dans ces contextes évolutifs, quelles voies de recherche et d’intervention peuvent donc être ouvertes pour interroger et analyser les processus et les conduites humaines au/de travail ?
Ce sont autant de questions et de préoccupations issues de la sphère socio-économique qui obligent la PTO à repenser ses démarches comme ses outils conceptuels pour comprendre et agir sur différentes dimensions de l’activité sur trois plans articulés :
- (i) micro : sur l’individu, le poste du travail et les activités réalisées ;
- (ii) méso : sur les collectifs, les groupes, les communications et médiations, les relations interpersonnelles de proximité, l’organisation du travail ;
- (iii) macro : sur le management humain, l’emploi, la vie hors travail, les dispositifs d’insertion et de formation, les stratégies organisationnelles et d’innovation, les formes de changement, des dispositifs d’intervention pour la prévention des risques.
Dans ce cadre, deux orientations d’analyse se dégagent : l’une axée sur l’individu et ses processus intra-individuels ; la seconde orientée sur l’activité et des dimensions plus systémiques et contextuelles.
3.2 Les démarches d’intervention et d’analyse des conduites humaines au travail
Les démarches d’intervention en PTO mettent en œuvre deux principales approches complémentaires :
La première, de type inductif, part d’une demande sociale, de questionnements pratiques (liés par exemple à l’introduction de nouveaux dispositifs technologiques, à l’étude des problématiques de souffrance au travail...) pour imaginer et construire, avec l’engagement de tous les acteurs (salariés, encadrement, représentants du personnel…), des solutions qui soient favorables au plus grand nombre et qui visent aussi la performance et l’efficacité des organisations. Il s’agit ainsi non seulement de comprendre (diagnostiquer) pour transformer positivement et durablement les situations de travail, mais aussi de transformer pour comprendre ; c’est-à-dire d’apporter aux individus des éléments de compréhension sur leur propre activité, afin qu’ils soient en capacité de développer individuellement et collectivement les ressources nécessaires pour mieux faire et vivre leur travail. Du point de vue de la recherche (de type recherche-action/intervention), ces questions pratiques permettent de réinterroger les notions et modèles conceptuels existants, ou d’en créer d’autres. On part ainsi des questions du terrain pour aller vers des réflexions épistémologiques et scientifiques qui interrogent autant les concepts que les méthodes déployées. Ces confrontations entre terrains et théories s’avèrent d’ailleurs indispensables pour le développement et la reconnaissance de la discipline ; en permettant d’être au plus près des préoccupations et des enjeux du travail, et en fournissant aussi des modèles idoines de compréhension et de formalisation des conduites professionnelles situées. L’ambition affichée de cette démarche est de générer à la fois des connaissances pratiques, utiles pour l’action, et des connaissances théoriques à portées plus générales.
La seconde approche, de type déductif, s’inscrit davantage dans la tradition de la recherche expérimentale, construite autour d’une démarche hypothético-déductive. Il s’agit alors pour le chercheur de décliner des questions ou des hypothèses de recherche sur la base d’une problématisation théorique en lien avec des préoccupations professionnelles (par exemple sur l’identification des biais de recrutement, des facteurs de stress ou de satisfaction au travail, sur les conditions de l’innovation) que le scientifique va chercher à vérifier et mesurer sur le terrain auprès d’un échantillon représentatif de sujets. Cette approche vise prioritairement à modéliser les processus sociocognitifs et psychosociaux en jeu pour expliquer, prédire et éventuellement agir sur les fonctionnements individuels et organisationnels.
3.3 Les méthodes en PTO
Selon les objectifs de l’étude et les contextes d’investigation, les démarches mises en œuvre peuvent croiser diverses techniques de recueils de données : des méthodes dites subjectives (par entretiens semi-directifs individuels et collectifs, entretiens d’explication, auto-confrontation, méthode des verbalisations…) ou objectives (avec des tests et mesures psychométriques, des échelles de mesure et des questionnaires, des études de cas, des observations et analyses détaillées d’activité…) ou encore prospectives (focus-group, assessment-center, dispositifs technologiques d’immersion…). Chacune de ces approches méthodologiques apporte des éléments de connaissance sur le ressenti, le fonctionnement des situations observées ou encore l’expérience vécue de l’individu.
On dissociera quatre grands types de méthodes (Brangier, Lancry & Louche, 2004) :
- Les méthodes centrées sur la personne. Dans ce registre, la PTO a développé des méthodes pour étudier la personne au travail, comprise comme un agent de traitement des tâches à réaliser et des buts à atteindre. Il faut citer les méthodes dites analogiques qui consistent à apprécier le savoir-faire d’un professionnel, ses compétences, ses aptitudes, des attitudes, ses motivations, sa personnalité, sa satisfaction au travail.
- Les méthodes centrées sur le travail et l’activité : ces méthodes visent à comprendre comment le travail qui se fait, c’est-à-dire pourquoi, quoi et comment l’humain réalise ses activités dans un contexte professionnel. Ici, les méthodes relèvent de l’observation directe ou indirecte, neutre ou participative, de données prélevées sur le terrain, compris comme étant le lieu où se réalise le travail.
- Les méthodes centrées sur le cadre et l’organisation du travail. Les conduites au travail s’inscrivent toujours dans un cadre organisationnel qui surdétermine les comportements. L’analyse des postes de travail, des structures organisationnelles, du pouvoir et des hiérarchies, des communications et des cultures organisationnelles, des rythmes et des temps de travail, des types de management… impliquent à la fois des méthodes globales (souvent inspirées par la sociologie ou l’ethnologie) et des méthodes normatives (issues de l’audit et en lien avec les juridiques et économiques).
- Les méthodes centrées sur l’intervention et la pratique des transformations. Alors que les trois premières méthodes comprennent un objectif analytique, évaluatif ou diagnostic qui est assez explicite, l’intervention propose des démarches pour changer le travail dans un sens qui soit bénéfique pour les personnes. Ces méthodes consistent à mettre en place des régulations des dysfonctionnements du travail et de son organisation, c’est-à-dire des processus de blocage, de non-qualité, d’accident, d’inhibition, de carence, de conflit, de souffrance, de risque, de compétence, de performance, de relations sociales ou encore de surcharge, en particulier.
Bien évidemment, ces méthodes se complètent et se combinent autour d’objectifs de recherche ou d’intervention, tout ne veillant au respect des règles éthiques et déontologiques relatives à la psychologie et plus largement au métier de psychologue.
4 Évolutions de la PTO
Nous l’avons vu, la PTO est une discipline « vivante » qui inscrit ses développements au cœur des évolutions du travail et de l’organisation ; en cela, elle s’engage à repenser ses modèles et méthodes à l’aune de ces transformations. Toutefois, elle ne peut plus se cantonner à un rôle purement correctif ou curatif des dysfonctionnements et dérégulations qu’elle diagnostique. Elle ne doit pas non plus être dans un rôle uniquement prescriptif qui consisterait à déterminer les variables psychologiques et sociales sur lesquelles il faudrait agir pour faire évoluer l’individu. Sur un mode plus préventif, voire prospectif, elle doit, au travers des démarches qu’elles déploient, pouvoir intervenir dès la conception des projets qui touchent le monde du travail. Pour cela, la PTO doit s’affirmer comme un acteur sinon incontournable, du moins prépondérant, dans tous les projets, auprès d’acteurs multiples, où les activités humaines sont impliquées.
Le psychologue du travail doit, comme l’avait déjà évoqué en son temps Munsterberg, être un agent actif du changement. La PTO doit en effet accroître encore plus les développements d’une psychologie consacrée à l’activité humaine et professionnelle. Elle doit s’inscrire dans la connaissance scientifique et dans l’action appliquée pour asseoir sa pratique professionnelle, garantir sa légitimité dans le monde professionnel, et surtout pour améliorer, développer et parfaire le bonheur des hommes et la réussite des organisations.
Bibliographie
Bobillier Chaumon, M.E., Sarnin, P. (2012). Manuel de psychologie du travail et des organisations. Les enjeux psychologiques du travail. Bruxelles : De Boeck.
Brangier, E., Lancry, A., Louche, C. (2004). Les dimensions humaines du travail. Nancy : PUN.
Louche, C. (2005). Introduction à la psychologie du travail et des organisations. Paris : Armand Colin.
Pour aller plus loin…
Petit, F., Dubois, M. (2013). Introduction à la psychosociologie des organisations. Paris : Dunod.
Sarnin, P. (2007). Psychologie du travail et des organisations. Bruxelles : De Boeck.
Bernaud, J.L., Lemoine, C. (2007). Traité de psychologie du travail et des organisations. Paris : Dunod.
Lemoine, C. (2012). Psychologie du travail et des organisations : domaines de recherches et d’intervention. Paris : Dunod.
Par BOBILLIER CHAUMON Marc-Éric, BRANGIER Éric, DUBOIS Michel & VALLERY Gérard